mardi 27 octobre 2009

Communautarisme: essai de définition**

Régulièrement employé dans le débat public -plus de 600 occcurences en 2002-, curieusement absent du dictionnaire, le mot "communautarisme" nécessite d'être précisément défini. C'est en effet à partir d'une définition rigoureuse qu'une critique des communautarismes est possible.



Le terme "communautarisme" est un néologisme pourtant utilisé fréquemment en langue française depuis les années 1980. Pierre-André Taguieff* essaie d'en poser les contours .
Extraits du texte "Vous avez dit communautarisme ?" de Pierre-André Taguieff paru dans Le Figaro le 17 juillet 2003.

"Si le mot «communauté» est défini dans tous les dictionnaires de langue (autour d'un noyau dur : une collectivité sociale dotée d'une unité et d'une identité), le mot «communautarisme» ne fait toujours pas l'objet d'un article dans la nouvelle édition (2002) du Petit Robert. […] Ce mot en «isme» est pourtant d'usage courant depuis deux décennies.

Le terme «communautarisme» [désigne], avec une intention critique, toute forme d'ethnocentrisme ou de sociocentrisme, toute autocentration de groupe, impliquant une autovalorisation et une tendance à la fermeture sur soi, dans un contexte culturel dit «postmoderne» où l'«ouverture», et plus particulièrement l'«ouverture à l'autre», est fortement valorisée […]. Par ailleurs, le «communautarisme» est défini par ses critiques comme un projet sociopolitique visant à soumettre les membres d'un groupe défini aux normes supposées propres à ce groupe (telle «communauté»), bref à contrôler les opinions et les comportements de tous ceux qui appartiennent en principe à ladite «communauté». La tyrannie de telle ou telle «communauté» est un phénomène social observable. Rappel à l'ordre communautaire : l'injonction «tu dois penser et vivre à l'image de ta communauté» est souvent lancée à des individus supposés prendre «trop de libertés» avec ce qu'il est communautairement convenu de faire et penser. Autre traduction possible, en éthique de l'authenticité : «Sois ce que tu es», le sous-entendu étant que mon «être» m'est donné par l'ensemble de mes appartenances. «Communautarisme» s'oppose donc à la fois à «individualisme» et à «cosmopolitisme». Mais le terme «communautarisme» désigne aussi une idéologie dont la fonction est de légitimer la reconstruction […] des «communautés», dans le cadre des États-nations modernes fondés sur le principe normatif de l'homogénéité culturelle et ethnique […]. […] La «communautarisation» constitue une contestation interne de la construction nationale.

Il s'agit donc d'un terme d'usage polémique, nettement péjoratif : nul ne s'affirme naïvement et fièrement «communautariste» (pas plus que «raciste»), et les «dérives communautaristes» dénoncées sont toujours celles d'un groupe autre que le groupe d'appartenance du dénonciateur. Le «communautariste», c'est l'autre. Coupable de «repli identitaire» – cliché emprunté au discours anti-lepéniste des années 1980, avec d'autres («fermeture», «crispation», «rigidité», «archaïsme»). L'accusation de «communautarisme» est disqualifiante dans le champ des croyances et des valeurs dites «postmatérialistes» («individualistes» ou «libérales-libertaires») : tolérance, ouverture, liberté d'expression, flexibilité, métissage, etc.
[…]
On peut néanmoins, en ordonnant les connotations du terme, distinguer quatre définitions possibles, qu'il s'agit de construire, de la notion floue de «communautarisme».

1. Mode d'auto-organisation d'un groupe social, fondé sur une «parenté ethnique» plus ou moins fictive (mais objet de croyance), dans une perspective ethnocentrique plus ou moins idéologisée, sur le modèle «nous versus les autres» («nous» : les meilleurs des humains, les plus humains d'entre les humains). «Communautarisme» devient synonyme de «tribalisme».


2. Vision essentialiste des groupes humains, chacun étant doté d'une identité essentielle dont on suppose qu'elle est partagée par tous ses membres ou représentants. L'individu est réduit à n'être qu'un représentant plus ou moins typique de ce qu'on imagine être le groupe dans sa nature abstraite ou son essence. L'imaginaire «communautariste» partage cette vision essentialiste avec la pensée raciste ou l'idéologie nationaliste.

3. Politique en faveur des identités de groupe, culturelles ou ethniques, fondée sur la reconnaissance de la valeur intrinsèque et du caractère irréductiblement multiple de ces identités au sein d'une même société, toutes étant supposées également dignes de respect, donc jugées libres de s'affirmer dans l'espace social (mais non pas, à strictement parler, dans l'espace public, qui suppose l'existence d'un champ d'interactions transcendant les «communautés»). Telle est la vision angélique du «multiculturalisme», celle qu'en donnent ses partisans déclarés.

4. Mais le «communautarisme» peut aussi désigner l'usage politique d'un mythe identitaire fondé sur l'absolutisation d'une identité collective. Ou encore caractériser une politique fondée sur le «droit à la différence» suivi dans toutes ses implications et radicalisé en obligation, pour chaque individu, de maintenir avant tout «sa différence», c'est-à-dire l'appartenance de groupe qu'il privilégie (disons, une «culture» d'origine, religieuse le plus souvent, naturalisée). En ce sens, le «communautarisme» apparaît comme une forme de néo-racisme cuturel et différentialiste.

Pour la théorie normative de la démocratie, le terme de «communautarisme», si l'on neutralise sa forte charge polémique, apparaît comme un synonyme bancal de «multicommunautarisme», désignant les doctrines politiques de la société multiculturelle ou pluriethnique («ethnopluralisme»), et impliquant une conception de la société désirable comme un ensemble de «communautés» ou de «minorités» juxtaposées, chacune vivant selon ses valeurs et ses normes propres, au nom d'une conception de la tolérance fondée sur le relativisme culturel radical. Mais la tolérance exigée va au-delà de la simple non interdiction, qui revient à reléguer l'expression des identités dans la sphère privée : elle tend à se confondre avec une revendication de reconnaissance positive dans l'espace public. Tolérer ne signifie pas ici supporter ce qui est jugé difficilement supportable, mais respecter inconditionnellement les manières d'être et de penser d'un groupe, en évitant de dévaloriser son autoreprésentation et d'affecter l'estime de soi de ses membres. C'est pourquoi le recours au langage «politiquement correct» dérive nécessairement de la politique de la reconnaissance : l'impératif non discutable est qu'il faut éviter de porter atteinte à l'image ou à la dignité de tout groupe social «minoritaire». Dans cette perspective, le modèle de l'assimilation est récusé en ce qu'il ferait violence aux spécificités ou aux particularismes jugés intrinsèquement et également respectables."


* Philosophe, directeur de recherche au CNRS, auteur entre autres de La Nouvelle Judéophobie (Editions des Mille et une nuits), de L'Illusion populiste (Berg international) et de Du progrès (Librio).
**Propos recueillis sur le net

mardi 20 octobre 2009

"Hyper-ballad" Björk

we live on a mountain
right at the top
there's a beautiful view
from the top of the mountain
every morning i walk towards the edge
and throw little things off
like:
car-parts, bottles and cutlery
or whatever i find lying around

it's become a habit
a way
to start the day

i go through this
before you wake up
so i can feel happier
to be safe up here with you

it's real early morning
no-one is awake
i'm back at my cliff
still throwing things off
i listen to the sounds they make
on their way down
i follow with my eyes 'til they crash
imagine what my body would sound like
slamming against those rocks

and when it lands
will my eyes
be closed or open?

i'll go through all this
before you wake up
so i can feel happier
to be safe up here with you

samedi 17 octobre 2009

Troubles borderline

Le trouble de la personnalité limite (ou trouble de la personnalité borderline) est un trouble de la personnalité qui s'exprime par des humeurs changeantes, par des relations humaines délicates, par un manque de confiance en soi-même et aussi par des comportements auto-agressifs.
Les « états-limites », les « états intermédiaires » ou encore les « pathologies limites » furent d'abord décrits par la psychiatrie, qui emploie cette catégorie dès 1884. Il s'agissait de décrire des troubles mentaux qui ne relèvent ni de la névrose ni de la psychose, mais se situent à la frontière.

En psychanalyse, Sigmund Freud propose dans Analyse avec fin et analyse sans fin (1937) l'idée que tout névrosé possède un moi en partie psychotique. D'autres auteurs développent l'idée de facteurs schizoïdes actifs dans de nombreuses pathologies.
Stern a inventé en 1938 le terme limite qui décrit une condition à mi-chemin entre la névrose et la psychose.
En 1945, Otto Fenichel approuve cette notion en montrant la présence de troubles de nature psychotique dans d'autres troubles que la psychose elle-même.
Otto F. Kernberg proposera le terme d'« organisation limite » (1975) qui écrit sur une pathologie du caractère (de la personnalité) et une pauvre modulation de la rage envers les objets (personnes), d'où le clivage subséquent avec polarisation des relations qui soit idéalise ou soit dévalorise la vision de la personne des autres. L'organisation limite est similaire à un état limite, terme utilisé par les psychanalystes français.
Harold Searles considère que, chez les patients borderline, le moi fonctionne sur un mode autistique.
Jean Bergeret, en 1970, suggère un rapprochement entre les pathologies limites et la mélancolie.
Selon Joël Paris, le terme borderline est un terme inapproprié, appuyé par cette vieille théorie qui indiquait que cette pathologie se situe entre la psychose et la névrose. Actuellement, le trouble de personnalité limite est considéré comme un syndrome complexe dont les caractéristiques centrales incluent une instabilité de l'humeur, contrôle des impulsions et des relations interpersonnelles (Skodol, Gunderson et coll., 2002).

Les éléments suivants, installés à l'adolescence, et de façon prolongée, peuvent évoquer une personnalité borderline :
- sentiments de vide, d'ennui
- sentiment d'être abandonné (peur irraisonnée de l'abandon)
- dévalorisation
- abus de substances (alcool, stupéfiants)
- automutilations, conduites à risque (par exemple conduire en état d'ébriété, prostitution), tentatives de suicide
- intolérance à la frustration
- fragilité narcissique : extrême vulnérabilité au jugement d'autrui
- difficulté à identifier et à réguler ses émotions (cyclothymie)
- trouble du comportement alimentaire (anorexie, boulimie)
- trouble voire refus de la sexualité
La personnalité borderline est parfois, mais pas toujours, associée à un trouble bipolaire. De brefs épisodes psychotiques (délires) sont possibles mais toujours de façon limitée dans le temps, parfois en rapport avec la consommation de substances toxiques. En aucun cas le trouble borderline n'est une schizophrénie.

« Avoir une personnalité borderline n'est pas un drame en soi... car après avoir acquis une bonne conscience de ses vulnérabilités, les traits de personnalité d'hier générateurs de difficultés (trouble relationnel, chaos intense, sentiment de vide, rage, etc.) deviennent des générateurs de potentialités (intelligence émotionnelle, hypersensibilité, passion, authenticité, spontanéité, compassion, etc.). »
— Dr Évens Villeneuve, Professeur agrégé Université Laval, Président du comité de l'admission au Programme de doctorat en médecine, Directeur adjoint du département universitaire de psychiatrie, Chef du Programme de traitement des Troubles sévères de personnalité, Institut universitaire en santé mentale Robert-Giffard

En psychanalyse, la catégorie de trouble de la personnalité borderline est discutée, parfois refusée. Par exemple, Jean-Bertrand Pontalis remarque que certaines patientes hystériques de Freud auraient été, de nos jours, diagnostiquées comme état-limite. Néanmoins, il est admis que cette catégorie floue désigne la frontière entre névrose et psychose.
Grossièrement, il est possible de définir certains traits caractérisant ces deux pôles que sont la névrose et la psychose. Le patient état-limite se situera entre les deux.

Jean Bergeret, cependant, considère l'état-limite comme une organisation à part entière, bien que moins structurée et plus floue que la névrose ou la psychose. L'étiologie du trouble borderline serait selon lui un traumatisme affectif précoce, agissant comme désorganisateur de la psyché, empêchant la maturation « normale » qui passe par la période de latence après le complexe d'Œdipe (rejoignant en cela les conceptions de Sandor Ferenczi).

Cette organisation psychique à la frontière, « entre deux eaux », suggère en fait que les théories de la névrose et de la psychose ne sauraient suffire. Ce sont de nouveaux champs d'études que les pathologies limites rendent indispensables : qu'il s'agisse de l'étude du narcissisme, de son implication dans la relation à l'autre, ou encore l'étude de la perception du temps, ou de la nature des traumatismes psychiques.

L'idée de frontière ne saurait donc éviter l'étude, l'écoute psychanalytique du singulier qu'apporte chaque patient.